Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)

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L'apéritif thématique présenté par Philippe Rouinssard  jeudi 25 janvier 2018, évoquait un sujet d'histoire passionnant : "Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)" Cet épisode court de la seconde guerre mondiale relate l’intervention des escadrons d’attaque spéciale, ou kamikazés, qui devait permettre au Japon vacillant de briser l’offensive américaine dans le Pacifique. Le cliché du Japonais hystérique, fanatisé à l’extrême, un fou furieux qui va jusqu’à abandonner sa vie pour suivre les ordres et au nom d’un Empereur divinisé, est complètement faux et la réalité est bien plus complexe et nuancée que cela.

Il serait aberrant de croire que le Japon est un pays plus violent que les autres historiquement et que le peuple japonais a une fascination pour la mort et le suicide. Jusqu’au XIe siècle, la violence est quasi inexistante sur l’archipel. La militarisation s’accroit à partir du XIe siècle lorsque le Bushido, le code du guerrier est fixé. Il vante le dévouement sans borne au suzerain et chante le mépris de la vie (celle de l’ennemi, mais aussi la sienne). Du XIIe au XVe siècle, des guerres civiles éclatent et les violences s’exacerbent. Pour échapper à ce sort et à l’humiliation de la reddition, contraire au bushido, apparait le suicide des guerriers  pour éviter d’être pris vivants. L’occidentalisation du milieu du XIXe transforme la société. Le Japon  adopte les travers de l’Occident, établit une hiérarchie des peuples et développe un nationalisme exacerbé et un racisme très fort envers les autres Asiatiques. Malgré ces modifications du schéma de pensée japonais, les traditions anciennes persistent :  divinisation de l’empereur, obéissance totale, honneur, dédain de la vie, notamment de la sienne.

Poussé par l’armée et la droite ultra nationaliste, le Japon envahit la Chine en 1937. Allié à l’Allemagne et à l’Italie en 1940, il en profite pour envahir l’Indochine. Le 7 décembre 1941, Pearl Harbor est bombardé et la flotte américaine envoyée par le fond.

Pour affronter la marine américaine très nettement supérieure en nombre, le Japon affaibli va avoir recours à des attaques suicides à la fin de la guerre. Dans les mois qui suivent la première attaque (25 octobre 1944), les attaques suicides vont même devenir la seule défense du pays. Un à un, des milliers de jeunes hommes sont envoyés à la mort dans l’espoir d’empêcher l’inévitable défaite du Japon. Ces attaques ont tant marqué les esprits que l’expression kamikazé est entré dans le vocabulaire courant pour décrire une attaque terroriste ou son auteur (cf 11/09/01). Ce terme est en réalité très impropre car il reflète des choses très différentes, le pilote qui part s’écraser sur un navire, effectue dans une guerre une mission avec un objectif militaire, il obéit à un ordre quoi qu’il en pense. Il ne le fait ni par idéologie, ni conviction politique et encore moins religieuse.  Le mot kamikazé signifie en japonais « vent divin » il est utilisé dans la religion shinto pour désigner un vent violent qui se lève sur la volonté d’une divinité. Enfin c’est le surnom donné à ces pilotes d’attaques spéciales, shimpu (vent divin en version sino-japonaise) qui est plus correct que kamikazé qu’il faudrait en réalité éviter. Au Japon personne n’utilise le terme attaque suicide, on parle plutôt de mort volontaire sur ordre.  

A l’automne 1944, le Japon a déjà dû reculer et les Philippines sont en passe d’être attaquées.  L’amiral Onishi Takijro propose une façon radicale de maximiser les pertes ennemies avec les quelques appareils encore en état de voler. Les rapides chasseurs portant une charge explosive de 250kg s’écraseraient volontairement sur le pont des navires. L’explosion, la vitesse, le poids de l’avion et le fuel qui s’enflamme permettraient de couler un navire pour chaque tentative réussie. Tous les pilotes dont les noms sont appelés acceptent : Voilà la version officielle de l’armée nippone.  Un journaliste de l’agence de presse impériale, discute avec un jeune lieutenant avant son départ. Amer et critique le jeune homme déclare être capable de larguer une bombe sur un navire en l’endommageant sérieusement sans avoir besoin de s’écraser dessus. Il dit aussi qu’il ne part ni pour l’empereur ni pour le pays mais pour sa femme.  Morts comme des héros, fidèles, courageux, exemplaires, ou morts pour rien, torturés par le doute en acceptant de partir car ils n’ont pas vraiment le choix.

Le matin du 25 octobre 44, le porte-avion Saint-Lô voit foncer sur lui un chasseur qui s’écrase sur le pont et le déchire, la bombe qu’il portait tombe dans les ponts inférieurs et explose. En 20 minutes, le navire ouvert en deux, sombre. 114 marins ont péri. Deux autres navires sont endommagés. Pour le commandement japonais la mission est un succès indéniable, un seul chasseur a coulé un navire qui transportait des dizaines d’appareils. Le lendemain une deuxième escadrille décolle, un porte-avion est gravement endommagé, 187 américains ont péri dans cette attaque. La tactique kamikazé se généralise. En novembre et décembre 1944, les missions continuent avec des résultats modérés : 80 navires sont touchés, 17 sont coulés. En janvier 1945, alors que les Japonais perdent du terrain au sol aux Philippines, 49 navires sont touchés par des Kamikazés, 4 coulent dont un porte-avion.

Alors qu’au début de la guerre la formation des pilotes japonais est la plus rigoureuse du monde, il fallait 600 heures de vol avant d’être envoyé au front, il tombe à 30 heures en 1944. Après le mois d’octobre 1944, on ne forme plus que des pilotes kamikazés. Il est plus important de les motiver pour leur unique mission que de les former à piloter un avion qu’ils n’utiliseront qu’une seule fois au combat. Ce sont donc de très mauvais pilotes qui sont envoyés en missions kamikazés, ce qui explique que la tactique perd graduellement en efficacité à mesure que la guerre avance.

Une mission kamikazé qui apparait comme simpliste, est en réalité très complexe. Il faut se coordonner avec ses coéquipiers, avoir une bonne maîtrise de son avion pour éviter les tirs de DCA et frapper le navire au bon endroit, savoir décider, agir et s’adapter très vite à une situation changeante. Souvent dans la précipitation et le manque d’apprentissage, les pilotes s’écrasent sur des navires de transport au lieu d’un navire de guerre, beaucoup sont abattus avant d’atteindre leur cible ou la manquent et s’écrasent dans la mer.

Le schéma reste le même, les pilotes sont prévenus la veille au soir, ils rédigent des lettres pour leur famille, s’endorment ensuite (de quel sommeil ?). Le lendemain, ils confient leurs objets personnels à des camarades, se préparent sur le tarmac, sur une table couverte d'une nappe blanche sont installés des petits verres et une collation (calamars séchés, poissons grillés, haricots rouges, riz). Les pilotes écoutent un discours de leur commandant, grignotent peu (ils devaient avoir l’estomac noué), boivent un dernier verre (on fait croire qu’il s’agit de saké mais en fait c’est de l’eau pour ne pas tourner la tête des hommes avant leur mission). Ils portent une écharpe blanche et attachent autour de leur front un bandeau hachimaki qui représente le drapeau nippon, ou celui de la marine impériale, parfois une fleur de cerisier, un chrysanthème ou une phrase patriotique. Ils montent à bord de leur appareil, saluent et décollent. Parfois ils sont salués sur la piste par des civils, des jeunes collégiennes d’une ville proche qui agitent la main ou des branches de cerisiers en fleurs.

Il existe deux tactiques d’attaque, la première est de s’approcher à haute altitude (6 000 mètres), de descendre à 1 500 mètres pour repérer la cible puis de plonger à 50 degrés (un angle qui doit permettre d’être le moins vulnérable à la DCA) à vitesse maximale. S’il parvient à frapper le navire à une telle vitesse avec un tel angle d’attaque, le choc est si violent que le navire peut se briser en deux. L’autre approche se fait à très basse altitude, ce qui permet d’éviter d’être détecté par les radars. Avec cette tactique, c’est la bombe transportée par l’avion qui cause les dégâts puisque l’angle d’attaque est quasi nul.

A la bataille d’Iwo Jima à l’hiver 1944-45, les attaques kamikazés sont de nouveau couronnées de succès, le porte avion Bismark Sea est frappé par un avion qui met le feu, un deuxième s’écrase dans l’entrepont et fait exploser tous les avions entreposés. Le porte-avion sombre emportant avec lui 119 marins. C’est le troisième porte-avion (et le dernier) que les kamikazés font couler, l’état major est renforcé dans sa certitude que seule, cette tactique sauvera le grand Japon. Il faut mourir pour vaincre. Tout au long de la chaîne d’information, les chiffres sont amplifiés afin de se faire bien voir et de justifier cette folle tactique et quand le chiffre arrive dans la presse, on a des exagérations incroyables (+ 600% à la fin de la guerre).

Lorsque les Américains débarquent à Okinawa au printemps 1945. Les attaques kamikazés se font par énormes vagues de 40 ou 50 appareils pour maximiser les dégâts. Ne pouvant plus compter sur l’effet de surprise des premiers temps, la réussite est bien moindre. La médiocrité des pilotes, le manque de fiabilité des appareils et la défense américaine expliquent ce relatif échec, 25 navires sont toutefois coulés, deux porte-avions gravement endommagés.

Le principal problème des attaques kamikazés est qu’elles entraînent la mort du pilote mais aussi la destruction de son appareil. Le Japon épuisé, n’est plus capable de remplacer les avions, il lui faut donc créer des appareils spécifiques moins chers à construire et à remplacer : les bombes Oka (petit appareil de bois et de toile de 6 mètres, capable de porter 1 800 kg d’explosif), les Kaiten (torpille de 1 500 kg d’explosif largués par un sous-marin et guidée jusqu’à sa cible par un pilote), les Shinyo (petite embarcation à moteur, construite en contreplaqué et contenant 250 kg d'explosif).

Plus de 3 800 Japonais se sont sacrifiés dans les attaques kamikazés. 60 navires américains ont été coulés et 407 endommagés, 6 830 Américains sont morts et 9 331 ont été blessés dans ces attaques suicides. Si le taux de réussite des pilotes était de 28% aux Philippines, il tombe ensuite à 12% plus la guerre avance. Pour l’état major, il s’agit juste de retarder l’inévitable défaite finale. Au total les missions kamikazés ont eu un taux de réussite autour de 14,3%, on est donc loin des prévisions des hauts responsables qui estimaient qu’un avion pourrait couler un navire. Toutefois 44,8% des navires américains endommagés et 21,3 % des navires coulés durant la guerre l’ont été par des kamikazés. La tactique désespérée du Japon n’a donc pas été inefficace. Le 15 août 1945, la radio diffuse la voix de l’empereur qui annonce la fin de la guerre. Le 16, l’amiral Onishi Takijiro, le père des kamikazés qui avait inventé la technique, se suicide en se faisant seppuku, il agonise 15 heures avant de mourir. Il laisse une lettre dans laquelle il demande pardon à tous ces hommes envoyés à la mort…

Les kamikazés devaient écrire des lettres, des poèmes qui seraient lus après leur mort et diffusés. Ceux qui sont le plus dubitatifs ne peuvent donc pas dire ce qu’ils pensent réellement. Ces écrits comportent donc une autocensure, le sacrifice, l’honneur, la joie de mourir pour l’empereur et pour le pays sont mis en avant. Ils peuvent écrire des lettres personnelles à leur famille tout en respectant un certain contrôle. Certaines trahissent une inquiétude et une tristesse de quitter ce monde. « Je voulais vous envoyer des mèches de cheveux en souvenir de moi, mais je me suis fais couper les cheveux très courts avant-hier et cela ne repoussera pas en une nuit ». « Je me suis levé à 6 heures pour respirer l’air pur. Tout ce que je ferais aujourd’hui le sera pour la dernière fois ». « J’ai encore beaucoup à vous dire mais si peu de temps pour le faire». « Je n’ai pas l’impression que je vais mourir, on dirait que je vais partir en voyage ». « J’aurais aimé vous revoir et boire une coupe de saké avec papa ». « Je m’inquiète de vous faire pleurer ». « Les fleurs de cerisiers doivent être en train de tomber à Tokyo, ce serait triste si je tombe avant elles ». « Je ne vais plus avoir le temps de vous écrire, il faut que j’aille sur la piste ». « Il est vrai que j’aimerais vivre un peu plus longtemps » « La Lune est pleine ce soir, j’aurais une belle dernière vision de ce monde ».

Les pensées contestataires ne peuvent être écrites, notons toutefois l’exemple d’Uehara Ryoji, mort le 11 mai 1945 à Okinawa à l’âge de 22 ans. Il fait transmettre ses livres à ses parents et dans l’un on trouve une lettre dans laquelle il dit qu’une nation autoritaire sera toujours vaincue. L’Italie et l’Allemagne sont déjà tombées, le Japon suivra. Le pilote de Kaiten, Wada Minoru parvient à faire transmettre des lettres en secret à sa famille. Il y méprise les discours militaristes, traite ses officiers de méprisables hypocrites. Il se noie dans son Kaiten le 25 juillet 1945 lors d’un entraînement, il avait 23 ans. Hayashi Toshimasa, 25 ans, se tue le 9 août 1945 en s’écrasant sur un navire américain. Dans ses lettres il méprise l’armée, hait la marine et maudit les officiers, il déclare mourir pour rejoindre ses amis qui ont déjà été tués.

Le processus de mémoire de ces unités d’attaques spéciales se divise en deux, entre ceux qui tentent de donner un sens positif au sacrifice pour la patrie. Ils mettent en valeur l’honneur, le sens de l’abnégation, une certaine noblesse même dans leur action. Pour d’autres ils ne furent que des victimes innocentes sacrifiés comme des chiens, des pions manipulés par une idéologie d’État mortifère. La vérité est bien plus complexe et plus nuancée. Pourtant tous les Japonais et tous les gens instruits de cette période, restent aujourd’hui encore, émus du sort de ces jeunes hommes qui, broyés par le système, furent contraints de combattre en se jetant sur l’ennemi, se donnant ainsi la mort, fauchés en pleine jeunesse…

Grâce à cette conférence, notre vision est plus claire et plus nuancée sut les kamikazés, sacrifiés sur l’autel de l’impérialisme le plus forcené, du nationalisme le plus fanatique et du patriotisme le plus imbécile. Nous n'utiliserons plus le mot kamikazé pour parler d’un attentat-suicide, laissant ce terme unique de l’esprit japonais à ces jeunes hommes résolus à participer de gré ou de force au suicide collectif de la nation auquel le pouvoir impérial s’était résolu et qui s’est achevé dans l’enfer du feu nucléaire…

 

 

 

 

Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Les pilotes kamikazés, l’ultime espoir de l’Empereur ? (octobre 1944-août 1945)
Ce jeune pilote, tenant le chien, n'a que 17 ans

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Oka, la bombe volante

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Le Katien, torpille humaine

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Le Shinyo avec ses 250 kilos d'explosif à la proue

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L’USS Bismarck Sea, touché par deux kamikazés prend feu et coule le 21 février 1945

L’USS Bismarck Sea, touché par deux kamikazés prend feu et coule le 21 février 1945

Avions se jetant sur les navires et porte-avions
Avions se jetant sur les navires et porte-avions
Avions se jetant sur les navires et porte-avions

Avions se jetant sur les navires et porte-avions

L’USS Mississinewa brûle et coule après avoir été heurté par un Kaiten (20 novembre 1944)
L’USS Mississinewa brûle et coule après avoir été heurté par un Kaiten (20 novembre 1944)

L’USS Mississinewa brûle et coule après avoir été heurté par un Kaiten (20 novembre 1944)

Le destroyer USS Hugh W. Hadley, touché par un Ōka, prend feu et coule le 10 mai 1945

Le destroyer USS Hugh W. Hadley, touché par un Ōka, prend feu et coule le 10 mai 1945

"La vie est aussi éphémère que la fleur du cerisier. Si belle, mais si fragile. Éclatante, un instant après dispersée par le vent". poème japonais

"La vie est aussi éphémère que la fleur du cerisier. Si belle, mais si fragile. Éclatante, un instant après dispersée par le vent". poème japonais

Publié dans APERITIFS THEMATIQUES

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